vendredi 21 février 2014


CES MAINS-LÀ

*« Jean Baptiste Laberge - Toé, c’est pas pareil… tu sais écrire… Moé, j’ai pas appris mes lettres. R’garde… mes mains. Des mains tout croches… des mains faites pour t’nir un manche de pioche… ou ben un manche de hache… Avec ces mains-là (…) Tu vas leur raconter… Tu vas leur parler d’mes mains… »

« De Lorimier - J’vais leur parler de tes mains…Des mains faites pour saluer des amis ou pour couper du pain…Des mains faites pour prier des fois…»

Dans le feu de l’action, dans le tourbillon incessant que l’on nomme quotidien, il m’est nécessaire, pour ne pas dire essentiel, de prendre des pauses; de me réserver des moments de réflexion. Durant ces périodes d’accalmie - gardez ça pour vous  - j’aime bien m’abandonner à la procrastination et à la rêverie.   

J’étais justement dans cet état de flou artistique depuis un certain temps, lorsque j’ouvrai la télévision et que je tombai sur l’excellent film 15 février 1839, de Pierre Falardeau. C’était, soit dit en passant, samedi dernier, le 15 février 2014. 175 ans après les tristes faits.
Arriva alors cette merveilleuse scène, forte et touchante.  Celle où, dans la prison de Montréal, Jean Baptiste Laberge demande à Marie-Thomas Chevalier De Lorimier - ce dernier sera d’ailleurs pendu quelques heures plus tard - de témoigner de tous les efforts et de tous les sacrifices qu’il a faits pour son pays et pour sa famille avant de se faire voler sa terre. Il exhorte De Lorimier de témoigner du labeur de ses pauvres mains.

Dans cette courte séquence réside toute une leçon d’humanité qui restera gravée dans ma mémoire longtemps.   
Cette dernière m’a aussi fait penser que dans nos belles expressions imagées, il est régulièrement question de la tête, du cœur, des bras, des épaules, des jambes, des pieds, des yeux, du nez. N’est-ce pas ? Par exemple, ne dit-on pas, il a une tête sur les épaules, elle a du cœur au ventre, il a les deux pieds sur terre, elle tient le monde sur ses épaules, il a le bras long, elle a le nez fin, il a des yeux de lynx, etc.         

Mais qu’en est-il des mains qui ont défriché, tiré, pioché, raboté, découpé, taillé, équarri, sculpté, semé, chassé, pêché, protégé, bercé, cajolé, bichonné, consolé, brodé, cousu, lessivé, pétri, cuisiné, enjolivé, élevé, enseigné, revendiqué ? Qu’en est-il de ces mêmes mains qui ont écrit l’Histoire; qui ont construit maisons; qui ont bâti pays ? Quelle place ont-elles dans notre imaginaire collectif ?
De nos jours, Il est facile de s’endormir, d’oublier. Il est aisé de se laisser berner par les sirènes du confort et de l’opulence. À ce rythme, nous finirons par croire que la réalité débute avec nous et se termine avec nous. Pourtant, la terre sur laquelle nous avons les deux pieds bien ancrés, la nation qui est la nôtre n’est pas née de la dernière pluie. Elle a été modelée et façonnée par des mains courageuses, travaillantes et ancestrales.

Ce texte est un hommage à tous ceux et à toutes celles qui nous ont précédés et qui ont fait en sorte que nous n’arrivions pas au monde les mains vides.  
À nous maintenant de mettre les mains à la pâte et de continuer le travail amorcé il y a 400 ans et des poussières, dans l’honneur et la dignité.

Jean-Luc Jolivet