samedi 16 septembre 2017

DÉSOLÉE MONSIEUR !


Il y a parfois de belles rencontres inattendues qui nous poussent à nous questionner sur nos comportements et qui nous laissent au passage une durable leçon de vie. Ça m’est arrivé tout récemment alors que ma soif de liberté et le désir d’être dans ma bulle me laissaient plutôt l’impression de ne vouloir interagir avec personne. J’avais enfilé mon habit de misanthrope et je voulais qu’on me sacre la paix.

La suite m’a agréablement surpris. Voyez par vous-mêmes.        

Je roulais peinard vers le Vieux-Port de Québec sur la piste cyclable qui longe la rivière Saint-Charles tout en sirotant les rayons du soleil à petite gorgée, lorsque j’ai croisé, tout près du pont Lavigueur, de l’autre côté de la rue de la Pointe-aux-Lièvres, une famille également adepte du deux roues.

Ouain, pis ? Seriez-vous tentés de me dire.

Je sais, je sais, il n’y a rien là de très original, j’en conviens. Mais de cette brève rencontre est né ce texte inspiré par deux petits mots qui m’ont accompagné tout au long de ma sortie.   

Alors, si vous souhaitez continuer dans mon sillage, ne vous gênez pas; sinon, vous avez le loisir de décrocher tout de suite ou en cours de route et, ainsi, poursuivre votre chemin.

Donc, écrivais-je, de l’autre côté de la rue de la Pointe-aux-Lièvres en ce superbe samedi matin de septembre, il y avait une famille de 5 personnes à bicyclette. Le papa devant avec un bébé dans le siège arrière et tout près de lui son jeune fils à vélo. La maman quelques mètres derrière donnait des conseils à sa fille qui peinait à reprendre son élan.

Comme je n’avais pas en tête de battre le record mondial du gars qui s’impression lui-même et qui veut exploser son odomètre avec des chiffres stratosphériques aussi éphémères que futiles - de toute façon, quand la fièvre me prend, je roule sur la route et non pas sur une piste cyclable - j’ai ralenti la cadence et j’ai souri à la mère pour bien lui faire comprendre que je ne ferais pas le zouave en zigzagant entre elles.

Elle m’a souri en retour et m’invita ensuite à passer devant. Alors que je m’exécutais, elle m’a dit : « Désolée Monsieur ! ». Un peu surpris, je lui ai répondu en bafouillant, « Ben voyons madame, il n’y a pas d’quoi ! ».

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Je m’attendais, en reprenant mon erre d’aller, de retrouver rapidement ma félicité et mon insouciance, mais quelque chose me chicotait. J’avais beau tenter de chasser la scène de mes pensées, celle-ci revenait constamment perturber ma quiétude initiale.

Je trainais avec moi comme un regret. C’était plutôt flou, mais une petite voix en moi me disait que j’aurais peut-être dû m’arrêter pour discuter quelques minutes avec la dame. En autres, j’aurais aimé lui dire que je trouvais qu’elle et son mari étaient beaux et touchants à voir aller avec leur marmaille. Qu’ils étaient de bons parents et tout le reste. Mais d’un autre côté, l’autre voix - vous savez, celle qui nous dit que ça ne se fait pas ces choses-là - m’intimait d’oublier ça et de laisser tomber mes interrogations au plus sacrant au sujet de cette situation qui, toujours selon l’opinion de cette mauvaise conseillère de voix, n’avait aucune espèce d’importance. Sans compter que le mari qui attendait un peu plus loin se serait sûrement demandé ce qui pouvait bien se passer avec cet inconnu habillé comme un dopé du Tour de France. Pas plus fin, si j’avais insisté, j’aurai pu me ramasser avec son poing sur la gueule.

Dans ces conditions me disais-je, c’était plus sage de continuer même si je devais rester pris pour toujours avec mes doutes.               

Ces doutes qui se résumaient à ceci : pourquoi avait-elle senti le besoin de se dire désolée ? Désolée de quoi au juste ? Désolée d’être dans mes jambes ? Désolée de ne pas rouler à 30 km/h ? Désolée de prendre le temps de bien encadrer sa fille pour que cette dernière puisse aimer les sorties à vélo et qu’elle veuille pratiquer ce sport sa vie durant, et ce, jusqu’à épuisement de ses forces ?

Je m’étais pourtant assuré de ne pas arriver avec l’air du fou furieux qui veut tout bousculer sur son passage et qui fulmine devant la lenteur.

D’autant plus que dans deux décennies à peine, c’est-à-dire demain, c’est probablement sa fille qui devra ralentir sa course afin de ne pas faire prendre le décor à l’homme plus âgé et plus lent que je serai devenu.

Aussi bien rester humble devant le mouvement et les cycles inéluctables de la vie. Un jour, la fragilité changera de camp. D’ici là, me semble que la moindre des choses, c’est de respecter celles et ceux qui n’ont plus ou pas encore la capacité d’en faire autant que nous.

Je m’égare.

Je ne souhaite pas tant parler du temps qui passe que de la vitesse à laquelle nous menons nos existences.

Qu’est-ce qui nous pousse à être aussi pressés ? La technologie ? La recherche de la reconnaissance ? Le besoin de nous sentir vivant ? La conscience de savoir notre temps compté ? Le culte de la performance ? La peur du vide est des temps morts ? La crainte de ne pas jouir de toutes les possibilités que nous offre notre époque ? Et quoi encore ?

Cette course folle nous amène même, alors que nous sommes dans notre plein droit de faire telle ou telle activité à l’heure, au moment et au rythme où ça nous chante, à ressentir le besoin de nous excuser ou à nous dire désolé si notre pas est moins leste ou si nous avons le sentiment de retarder le groupe.

Le temps est mauvais pour les rêveurs et les flâneurs. Les espaces pour la réflexion et le silence se rétrécissent comme peau de chagrin.

Tout est réglé au quart de tour. Même les loisirs et les vacances semblent devoir être bridés et mis au pas. Tout doit se dérouler exactement comme nous l’avons planifié. Sinon, c’est la panique et l’impatience qui deviennent les maîtres de nos faits et gestes.  

Quelle place réservons-nous de nos jours à l’inattendu, à l’improvisation et aux surprises ?

Ces questions sont vieilles comme le monde. Je suis certain qu’à chaque époque elles se sont posées. Différemment peut-être, mais posées tout de même.

En tout cas, ces simples mots « Désolée Monsieur ! », m’ont permis de réfléchir et de me questionner sur ma propre impatience. À calmer un peu cette urgence latente que je ressens constamment.

Grâce à eux, j’ai fait ma plus belle sortie de vélo de l’été. Elle n’était peut-être pas sous le signe de la vitesse, mais plutôt basée sur la qualité.

J’ai pris le temps de prendre mon temps. J’ai souri aux gens, je les ai salués et j’ai cédé le passage plus souvent qu’à l’habitude. En clair, j’ai vraiment, mais alors vraiment savouré chaque minute de cette randonnée et j’ai été plus attentif aux autres et aux majestueux paysages qui nous entourent et que nous prenons trop souvent pour acquis. 


En somme, même si j’en étais déjà convaincu, je me conforte aujourd’hui dans l’idée que pour que la vie puisse déployer ses plus belles couleurs, nous devons parfois nous laisser guider par ces surprises qui se pointent le bout du nez, tout bonnement comme ça, au hasard d’un détour.   




Jean-Luc Jolivet

Samedi 16 septembre 2017