AU GRAND DAM DES BANQUIERS
Aujourd’hui, au grand dam des gens efficaces, des
économistes et des banquiers, je n’ai rien fait. Je n’ai pas nourri la bête qui
nous dévorera sous peu si ça continue. Je n’ai pas ajouté de bûche dans le foyer
qui nous consume lentement, mais sûrement. Je n’ai pas enfilé mon habit de
consommateur. J’ai plutôt pris mon temps et j’ai dompté les horaires pour les
mettre à ma main. J’ai retiré ma chape de plomb afin de souffler un peu et j’ai
pris la route.
J’ai remonté le chemin qui mène au cœur de ma ville natale
en roulant tranquillement sur la 138 entre le majestueux fleuve Saint-Laurent -
que l’on ne regarde plus et que l’on prend pour acquis - et les merveilleuses
Laurentides, montagnes si belles dont je ne saurais me passer. J’ai navigué peinard
au centre de ce pays que j’aime tant. Accompagné dans mes pérégrinations par la
voix familière d’un chanteur qui m'a raconté son pays à lui, l’Angleterre, à
travers son transcendant Lullaby…and the
Ceaseless roar. La rencontre de deux solitudes qui se comprennent malgré
tout ce qui les séparer.
Arrivé à destination, j’ai marché dans les rues de mon
enfance. Malgré les apparences, je n’étais pas seul. Tout un monde vivait en
moi. Le passé, le présent et le futur s’entrechoquaient au rythme de mes pas.
Une sorte de paix ainsi qu’une certaine satisfaction de me sentir vivant et l’idée
d’être toujours debout après avoir, comme tout le monde, traversé quelques
tempêtes, me donnaient de l’allant. Tout me semblait si clair et si simple.
J’aurais poursuivi comme ça plusieurs heures, si ce n’avait été des limites de
ma condition humaine. Fatigue, faim et froid m’ont vite ramené à l'ordre.
Au détour de quelques rues, j’en ai profité pour aller
visiter de la famille que je ne vois pas assez souvent et qui me manque. Nous
avons remodelé le monde et fait le plein de bonté humaine. Denrée précieuse qui
n’est pas cotée en bourse. Ce court pèlerinage s’est terminé dans la chaleur de
la maison familiale où, à nouveau, mes parents ont fait preuve d’un accueil et d’une
générosité qui n’attendent rien en retour.
Aujourd’hui, au grand dam des gens efficaces, des économistes et des banquiers, je n’ai pas fait rouler l’économie ni participé
activement au PIB. Ce n’était peut-être pas payant à leurs yeux, mais je peux vous dire que ce fût assurément enrichissant et
ressourçant.
Jean-Luc Jolivet