samedi 18 novembre 2017

(Fiction)

Sergei Arkadiévitch Teviloj 1900-1992

Pour eux, je n’étais rien et c’était bien ainsi. Ils croyaient qu’en m’enfermant dans leur camp, en me laissant croupir dans la boue de leur goulag, ils rendaient service à leur système.

Ils se trompaient. Ils n’ont réussi qu’à me rendre service. C’est dans cet effroyable lieu que j’y ai fait la rencontre marquante de ma vie.

La solitude.

C’est dans cet endroit vidé de toute humanité que j’ai pu l’apprivoiser et que j’en ai fait l’objet le plus précieux de mon existence.  

Depuis ce jour, j’ai réussi à la préserver de toute attaque de l’extérieur. Je l’ai jalousement gardée.

Ils n’auraient pas dû me laisser sortir. Il aurait été préférable pour eux de me tuer. Une fois que la solitude ne vous effraie plus, rien ne peut plus entraver votre chemin et vous devenez prêts pour la liberté.

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Pour eux, je n’étais rien et c’était bien ainsi. Être considéré comme une quantité négligeable, comme un être invisible et sans importance, vous ouvre les portes de la liberté la plus complète.

Au lieu de m’apitoyer sur mon sort, je me suis empressé de saisir cette occasion pour me soustraire à leur code, à leur manière de vivre et à leur schème de pensé. J’ai tout rejeté ce qui émanait d’eux. Sans faire appel aux armes.

J’ai enfilé mon costume de misanthrope et j’ai sévi. Me croyant complètement retiré du monde, ils ne m’ont plus jamais ennuyé.   

À partir de là, et jusqu’à la chute du mur, je me suis employé, avec ma plume et mes mots, à relayer, ici et là sous le manteau, l’idée d’un futur plus lumineux.

Je ne saurai jamais si j’ai pu faire une quelconque différence sur le cours de notre histoire nationale. Je quitterai tout de même ce monde avec la conviction profonde qu’avoir agi autrement m’aurait fait passer à côté de l’essentiel. Je n’aurais pas seulement été vaincu par la tyrannie, mais aussi par la lâcheté.


Un apport aussi minime soit-il pour la justice, pour la dignité humaine et pour la liberté vaut mieux qu’un silence complice.