PAUSE LITTÉRAIRE
Comment ça fonctionne tout ça ? Ça restera toujours un
joyeux mystère pour moi.
Parfois, je pars et me dirige vers ma librairie
indépendante favorite - la Librairie Vaugeois pour ne pas la nommer 😉 -
avec en tête une liste précise. Je sais ce que je veux. Mais aussitôt entré, un
livre me prend par la main. M’invite à lire le résumé sur sa 4e de
couverture. Je l’ouvre et parcours quelques lignes et puis je ressors avec sans
avoir acheté ce qui m’avait fait me déplacer. Puis, c’est la symbiose totale.
Une union parfaite avec son contenu et mon état d’esprit, mon humeur. Un
délice.
À d’autres moments, je ne me laisse pas distraire. Je vais
me procurer exactement le livre de l’auteur.e - oui oui, je mets un «e»,
j’haguy le mot autrice - que je connais bien et dont j’attendais impatiemment
la sortie de son nouveau chef-d’œuvre. Puis, je reste un peu sur ma faim. Pas
que c’est mauvais. Mais, allez savoir pourquoi, ça ne colle pas.
Enfin, il y a des livres que je regarde prendre vie
nonchalamment. Je suis un peu indifférent. Je lis les critiques en diagonale.
Je me dis, si j’ai une chance de le lire un jour, je le ferai. Arrive alors une
entrevue de l’auteur. À un moment où je suis bien disposé. Tout ouïe. J’écoute
attentivement. Et lorsque l’entrevue se termine, je me dis, déjà !? Je n’ai pas
le choix, je me rends dès que possible à la librairie. En plus, j’ai droit à
mon rabais. Belle affaire.
J’hésite toujours à utiliser cette expression qui sert à
qualifier bon nombres d’œuvres littéraires, musicales et cinématographiques.
Justement car je la trouve surutilisée. Un peu galvaudée. Et je flaire parfois,
l’outil marketing. En tout cas, elle ne me satisfait pas. Mais bon, je n’ai
rien trouvé de mieux.
Kukum, de l’auteur Michel Jean, fait donc partie de mes
coups de cœur de cette année pour le moins difficile.
Par où commencer. C’est ici que mon texte devient plus
difficile à écrire. Je voudrais, en peu de mots, décrire l’indicible.
L’intangible. Tâche à peu près impossible. J’ai bien peur de ne pas y arriver,
mais je plonge tout de même.
Voici.
Dès les premières lignes, je savais que je suivrais la
narratrice jusqu’au bout du récit. Il était clair que j’allais m’investir
totalement et y mettre toute ma concentration, comme si elle était physiquement
présente et me racontait son histoire de vive voix. C’était une évidence que je
la laisserais me décrire l’aventure qu’a été sa vie en m’extirpant temporairement
de la mienne. En faisant abstraction du vacarme extérieur, j’ai pu écouter les riches
sons de son existence.
J’ai été bien récompensé.
Almanda Siméon, cette femme intelligent, libre, forte et
humaine, m’a d’abord expliqué d’où elle venait. Ensuite, elle m’a fait une
place dans le canot qui remontait la Péribonka. Elle en a profité pour me faire
voir les Passes-Dangereuses, me décrire ses peurs, ses espoirs, ses chasses,
ses pêches, ses échanges avec les aînés et son apprentissage de l’innu-aimun. Elle
m’a parlé de ses enfants, de sa famille et de son Thomas évidemment. Elle m’a
fait visiter son nouveau pays. Sa vastitude. Sa richesse. Ses dangers. Elle m’a
raconté aussi, comment, un jour, on leur avait coupé l’accès à leur pays, leur
territoire. On les a virés de bord, sans ménagement et sans excuse.
Tout en prenant notre thé ensemble, elle sur le perron de
sa petite maison à Pointe-Bleue, moi dans ma bibliothèque, elle m’a parlé de
Pekuakami, et de ses humeurs, comme personne auparavant. Elle m’a exposé ses
blessures, les pensionnats, l’arrivée du train, du progrès qui n’ont pas fait
de quartier et qui ont complètement chamboulé leur vie active, circulaire et riche.
Habitués qu’ils étaient de n’attendre rien de personne, de ne compter que sur
leurs talents et leurs propres ressources. Ils se retrouvaient soudainement en
situation de dépendance.
Deux jours après avoir refermé le livre, l’histoire
d’Almanda Siméon m’habite encore.
Ce sont des choses que j’avais apprises par des lectures
précédentes, mais, il est nécessaire de se les faire répéter encore et encore afin
de ne jamais oublier.
Une chose est certaine, lorsque nous pourrons retourner sur
les rives de Pekuakami à l’Auberge Maison Robertson de Mashteuiatsh, nous
allons regarder attentivement vers le nord-est, à l’embouchure de la Péribonka,
et peut-être aurons-nous la chance de voir Almanda et Thomas se diriger vers
leur pays de liberté, vers la vie qui était la leur où il se sont épanouis et où
ils ont vécu une vie remplie, honnête et digne.
Bonne lecture,
Jean-Luc