FRANÇOIS SUR SON
SOFA
Il se prénomme François. Il habite Québec.
Il est le fils d’un peintre signataire du manifeste Le Refus
global et d’une mère poète, écrivaine, plasticienne, qui a fui.
Et il vit profondément dans son monde. Nous pourrions ajouter,
comme la majorité d’entre nous, mais ce serait plus ou moins juste. Il est
ailleurs. Physiquement présent, mais mentalement dans un autre univers.
Et parfois, nos univers se rencontrent.
Au café sandwicherie de l’ascenseur du Faubourg pour être plus
précis. Où il a ses habitudes et où je passe souvent pour aller au travail.
Nous nous y croisons alors qu’il se sert un café et que j’y
attends l’ascenseur avec mon vélo.
Nous échangeons des sourires et nos salutations. Et nous nous
souhaitons une bonne journée.
À d'autres occasions, c’est dans les rues aux alentours de l’ascenseur.
Il me demande à nouveau si j’ai du feu pour allumer son mégot. Je lui réponds
que non. Je lui fais une blague sur le fait que je ne fume pas et il rit. Je
lui souhaite une belle journée. Il me retourne la politesse.
Ensuite, nous sommes à nouveau aspirés par nos galaxies
distinctes.
Lorsqu’il se passe un certain temps sans que je le croise, je me
demande ce qu’il advient de lui. Comment se porte-t-il ? A-t-il déménagé
? Est-il toujours en vie?
Le confinement et les vacances d’été ne m’ont pas permis de passer
souvent dans son coin. N’empêche, durant cette période, il m’arrivait tout de
même d’avoir une pensée pour lui.
Et soudain, ce midi, alors que j’attends à la lumière rouge au
coin de la côte Sainte-Geneviève et de la côte d’Abraham, je l’aperçois les
jambes bien étendues sur un banc de parc près du complexe Méduse. Le regard
portant au loin.
Je n’ai pu m’empêcher de me faire cette bête réflexion : « il est
dans son salon, il regarde le film de sa vie sur son sofa et se questionne sur
ce qui a bien pu se passer »
Et je me suis demandé, durant tout le reste de mon parcours du
retour, de quoi peut-elle être faite justement, sa vie ?
J’aurais beau rouler jusqu’à l’infini et plus loin encore, je ne
le saurai jamais.
En fait, tout comme lui, il nous est impossible d’avoir toutes les
réponses à nos questions. C’est notre point commun.
Chacun sur son sofa, portant nos questionnements.
Jean-Luc
Jolivet
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