samedi 8 octobre 2016

«JE PUISE MAIS N’ÉPUISE»* et y trouve la nourriture nécessaire

Jamais seuls. Nous ne sommes jamais seuls avec un livre entre les mains.

Nous ne le dirons jamais assez, de toutes les manières et sur tous les tons. La lecture est bénéfique. La lecture rend libre. Elle nourrit l’esprit et apaise l’âme. Elle ouvre sur des horizons insoupçonnés, infinis, et plus prosaïquement, elle permet de débusquer les escrocs de tout acabit tout en évitant leurs pièges à con.

Je suis privilégié. Chanceux. Dans mon coin de pays natal, on utiliserait cette expression on ne peut plus chic, je suis «mardeux». 

Pour le dire ainsi, disons que malgré mon cheminement académique cahin-caha, passant du médiocre au moyen avec l’aisance d’un lunatique anxieux, je ne m’en suis pas trop mal sorti malgré tout. Sans la chance inouïe qui m’est tombée dessus - on ne sait jamais trop bien comme ça fonctionne tout ça -, je serais peut-être à l’heure actuelle en train de dilapider mon énergie vital à essayer de m’extirper tant bien que mal des boues suffocantes de l’ignorance crasse.

Des livres, chez-moi, il y en avait partout. À portée de main. Aucune pression, seulement l’invitation au voyage, et pour pas cher à part ça.

Sûr que ça m’a pris un certain temps avant d’allumer et de passer à la vitesse supérieure. Comme tout bon ti-cul qui se respecte, ce sont naturellement les bandes dessinées qui ont d’abord reçu toute mon attention. Le goût des histoires bien racontées ne m’a jamais quitté depuis. Ni le plaisir des BD d’ailleurs.

Mais, un jour, le choc. Mon premier roman que j’avais moi-même choisi dans la bibliothèque familiale me faisait réaliser la force des mots. À partir de ce moment, je savais d’instinct que la lecture m'accompagnerait pour toujours.

La curiosité intellectuelle, l’ouverture d’esprit ainsi que la soif de justice sont, à mes yeux, le plus profond et le plus durable legs que l’on puisse transmettre à ses enfants.

Aujourd’hui, si je puise avec bonheur dans les eaux inépuisables du savoir et si j’y trouve la nourriture nécessaire pour poursuivre mon évolution, c’est grâce évidemment à mon entourage et à des figures marquantes que j’ai croisées au détour des institutions scolaires que j’ai fréquentées.   

J’en serai pour toujours reconnaissant.

Jean-Luc Jolivet


*http://www.assnat.qc.ca/fr/bibliotheque/renseignements/immeuble.html / Devise de la verrière de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec

vendredi 5 août 2016

SEMER* LA LASSITUDE AFIN DE RÉCOLTER DE NOUVELLES IMAGES (texte sur les vertus de la petite reine)

Il existe plusieurs façons de se débarrasser de la lassitude. La plus aisée, qui se trouve également à être la plus éphémère, consiste à s’installer confortablement dans sa chaise de parterre préférée et de s’ouvrir une p’tite froide. Puis une autre. Et encore une autre. Ainsi de suite. Et espérer que ça passe. Attendre en quelque sorte qu’un miracle se produise.

Bon, d’accord, au début on ressent un certain calme, une certaine plénitude. Les idées deviennent plus claires. On se sent plus léger. Aussi, ça aide à faire le ménage et à remettre les morceaux du casse-tête en place. On fait le point. On en vient à se dire qu’on néglige nos amis, notre famille et qu’il faudrait bien leur lâcher un p’tit coup de fil un de ces quatre afin de prendre des nouvelles. On fait la liste des priorités et on souhaite que nos bonnes intentions se matérialisent dans les meilleurs délais. On se «dénombrilise».

Puis, rendu à la huitième ou à la neuvième bibine, les choses se compliquent un brin. Les idées se remettent à partir dans tous les sens, à se cogner dans tous les racoins du ciboulot. Ça commence à tanguer pas mal dans la régie centrale et le cerveau est sur le point de perdre pied. Pas grave, l’éponge croit que s’il s’en ouvre une p’tite dernière, ça aidera à oublier! Finalement, avant que le barrage ne cède, avoir la lucidité de verser le houblon amère dans le gazon, se lever avec peine de son trône de roi déchu puis ramper jusqu’à son lit et se coucher sans avoir mangé.

Le lendemain, sans grande surprise, ne se rappeler de rien. Sinon qu’on a fait tout ça pour se secouer les puces. Croire malgré tout que l’abattement aura disparu par enchantement. C’est mal connaître la bête. La salope nous attend dans la salle de bain. Elle nous sourit narquoisement dans le miroir blême et ne nous lâche pas de la journée.

Une autre méthode, qui demande davantage d’effort, est, à mon sens, pas mal plus efficace.

C’est simple. Il s’agit de s’équiper comme un pro. Casque, lunettes de soleil, gants, maillot, cuissards, souliers à clip et une bonne beurrée de crème solaire. Ne pas oublier les deux bouteilles de liquide vivifiant et les victuailles énergisantes. Avoir le parcours en tête, gonfler les pneus, huiler la chaîne, remettre l’odomètre à zéro et décoller.

Drette en tournant le coin, y a déjà quelque chose qui se passe. Ce n’est pas encore le Pérou, mais c’est un début. L’air frais et les couleurs vives déstabilisent la tristesse. Elle ne s’attendait pas à ça. Elle pogne de quoi! Elle s’agrippe encore, mais elle se sent soudainement plus vulnérable. Elle est prise au dépourvu.

De notre côté, il est important de ne pas brûler les étapes. Faut attendre notre moment.

D’abord, rouler raisonnablement. Réchauffer les jambes. Retrouver le souffle. Maintenir une bonne cadence, fluide et légère. Prendre une gorgée d’eau. Poursuivre sa route. Prendre un peu de vitesse. Jeter un coup d’œil au magnifique paysage. Saluer humblement l’oiseau qui vole en parallèle de notre chemin. Prendre une autre gorgée et une poignée de noix. Accélérer encore un peu. Sentir que la langueur commence à faiblir. Se rappeler qu’il ne faut pas asséner le coup fatal tout de suite. Attendre.  

Laisser tout doucement les images et les mots monter en nous. Leur permettre de reprendre l’espace qui leur appartient et qui était monopolisé par la grisaille. Refaire le plein.

Augmenter encore la pression et les chiffres de l’odomètre. Patience. Ne rien précipiter, mais commencer à penser sérieusement à mettre le plan à exécution. En demander encore plus aux jambes et au cœur. Dépasser les traîneux dans les côtes.

Rouler encore une dizaine de kilomètres avant d’ouvrir pour de bon la machine. Garder un rythme soutenu.     

Mouliner encore et encore. Ne pas s’arrêter. Arrive enfin le dernier droit. Le chemin est libre et la surface est impeccable. C’est jour de chance. Mouliner à ne plus sentir le mal. Monter l’odomètre à 55 km/h. Voici la fameuse côte. Amorcer la descente. Plus de 70 km/h au compteur. Le vent siffle aux oreilles. Sentir la vibration de toute la mécanique. Ne pas faire d’erreur. Mettre toute la gomme.

La mélancolie n’en peut plus, elle n’a presque plus d’adhérence et elle est sur le point de décrocher. Voici le moment de porter le coup de grâce.

Alors qu’elle croit en la ligne droite, la prendre de vitesse et tourner à la toute dernière seconde sur le vieux Chemin du Roi, à droite.

La sentir lâcher définitivement les mailles du chandail. La voir virevolter dans les airs et l’entendre aller se fracasser sur un tronc d’arbre fort et solide.

C’est gagné.

La lassitude n’est maintenant plus en état de nuire. Elle est semée. La récolte d’images a été très bonne et le retour à la maison se fait dans la sérénité.

Et si d’aventure le quotidien se refaisait un peu lourd, repasser le film de cette épopée pour retrouver le sourire et la combativité.      



Jean-Luc Jolivet

* Dans le sens de fausser compagnie.

vendredi 29 juillet 2016

120 KM ET DES POUSSIÈRES….SUR LE CHEMIN DU ROY



120 km et des poussières de beauté à couper le souffle, de plaisir olfactif et oculaire où les sens sont en effervescence
120 km et des poussières à réfléchir, entre Fleuve majestueux et montagnes souveraines 
120 km et des poussières à tutoyer l’Histoire
120 km et des poussières à réapprendre l’humilité
120 km et des poussières à aimer encore davantage son pays et se surprendre à en être soudain ému
120 km et des poussières à espérer avoir devant soi, encore plusieurs années à pouvoir rouler. 


Trois-Rivières-Québec sur sa monture de carbone, comme un seul homme, ça remet les idées en place et ça permet à l’actif et au contemplatif de se réconcilier durant un p’tit 4 h et des poussières.

mercredi 22 juin 2016

Bonne Fête nationale !


Je nous vois trimmer dur, sans cesse, à l’année longue.

Je nous vois bâtir, soigner, enseigner, questionner, chercher et tendre vers un monde meilleur.

Je nous vois photographier, filmer, écrire, danser, chanter, peindre et réfléchir.

Je nous vois douter, sourire, pleurer, tomber et reprendre pied.

Je nous vois accueillants et chaleureux.  

Je nous vois opiniâtres, talentueux, ingénieux, patenteux et ouverts sur le monde.

Je nous vois espiègles, ricaneux, joueurs de tour et songeurs.

Je nous vois comme 8 millions d’étincelles prêts à embraser le monde de notre talent et de notre originalité.

Je nous vois, aujourd’hui et demain, prendre un temps d’arrêt pour célébrer notre fierté d’appartenir à un si grand peuple.

Tu es sans l’ombre d’un doute « Québec, de l’art pur ».

À nous, Québécoises et Québécois, bonne fête nationale !   


Jean-Luc Jolivet

24 Juin 2016

http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/opinions/201606/22/01-4994616-bonne-fete-nationale.php?_branch_match_id=274503767644654580

dimanche 24 avril 2016

LES VOLEURS DE QUIÉTUDE*


Ce soir il m'est difficile de mouliner. Le cœur n’y est pas du tout. Mes jambes pèsent une tonne et je ne cesse de penser à toi et à ton histoire.

Bien malin celui qui peut prédire comment tout ça va se terminer. Les bouffeurs d’espoir comme le chantait Brel viendront-ils à bout de ta fougue, de ta détermination et de ton audace? Auront-ils le dernier mot? Les chiens de guerre finiront-ils par tout faire dérailler? Réussiras-tu, chère Massuma, à atteindre les buts fixés? 

Vu de loin, rien ne semble vouloir jouer en ta faveur. Tu es née dans un pays conservateur 
nécrosé par les talibans où les esprits obtus cherchent par tous les moyens à vous mettre des bâtons dans les roues. Pour eux, «c’est mauvais qu’une femme roule à vélo, notre société ira de pire en pire si les femmes font du vélo» peut-on entendre dans le web-reportage où il est question de toi et de tes courageuses coéquipières.

Nous partageons la même passion, Massuma, mais la liberté avec laquelle nous la pratiquons n’est visiblement pas la même. Si je n’ai qu’à me méfier des nids-de-poule, des quelques amas de détritus qui jonchent les routes, des automobilistes agressifs et de mon orgueil lors de mes sorties, il en va tout autrement pour toi.

En plus de devoir composer avec les conditions exécrables, les fanatiques fous furieux qui te lancent des pierres, la corruption, les attentats, les talibans qui s’approchent de Kaboul, il reste et j’en passe, tu dois te battre contre une ennemie encore plus pernicieuse et sournoise, c’est-à-dire la misogynie. On te nie le droit de vivre pleinement, de faire ce qui te plait, de t’épanouir, de t’émanciper parce que tu es une femme. C’est tout simplement odieux et scandaleux.

Mais tu es plus forte qu’eux, Massuma. Tu persistes et signes. Tu roules envers et contre tous. Tu as rapidement compris que les pollueurs de sérénité, il nous faut les combattre sans relâche. Avancer malgré tout. Si nous les laissons gagner du terrain et miner notre tranquillité d’esprit, on risque la paralysie, la déprime, l’assèchement de notre existence. Tu sais trop bien que la vie est mouvement.  

Tu es admirable Massuma et tu mérites ton titre de petite reine de Kaboul. Tu ne te contentes pas de t’entraîner contre vents et marées, tu t’emploies aussi à transmettre ton amour du cyclisme aux autres jeunes filles. Tu cherches à en faire de nouvelles adeptes. C’est touchant, noble et courageux.       

Ce soir il n’y a pas de doute, c’est toi qui me traîne dans cette montée et tu as raison, Massuma, sous aucun prétexte nous devons nous laisser envahir par les voleurs de quiétude, ces parasites bousilleurs de sainte paix!


*Titre tiré de la page 364 du livre de Marc-François Bernier intitulé Foglia l’insolent

Jean-Luc Jolivet

2016-04-24

samedi 2 avril 2016

 TU TE SOUVIENS


Tu te souviens petit. Tu te souviens du jour où tu as posé LA question. Cette fameuse colle que la plupart des adultes redoutent. Tu te souviens n’est-ce pas? C’était une superbe journée de printemps. Le soleil était radieux et le ciel d’un bleu éclatant. D’ailleurs, ne gardes-tu pas un souvenir ému et attendri de ce moment, comme s’il avait été saisi sur pellicule et minutieusement classé dans ta boîte à souvenance. C’était il y a plus de quarante ans. C’était hier.  

En tout cas, tu te rappelles qu’il n’y avait plus de neige et que les aînés, ton frère et ta sœur, étaient absents de la maison. Fort probablement à l’école.

De ton côté, tu avais la chance d’avoir ta maman pour toi tout seul. Vous étiez tous les deux sur la galerie de la cour arrière de la maison. Elle, étendant sa lessive sur la corde à linge et toi, prenant une pause de tes jeux d’enfant. C’est alors que, entouré par cette nature qui reprenait ses droits sur la saison morte, tu te lançais en toute confiance. «Maman, c’est quoi la mort?» «Allons-nous nous revoir?» (Ne trouves-tu pas fascinant de voir qu’à un si jeune âge, nous avons déjà l’instinct de notre finitude?).

Loin d’être démontée par ta question, ta mère semblait même l’attendre. Elle était prête à y répondre. Elle n’avait pas pris cette attitude condescendante que les adultes ont souvent avec les enfants. Elle t’avait pris au sérieux, et avec respect, elle avait calmé tes angoisses.    

Sans te souvenir des mots exacts, tu te rappelles parfaitement de l’atmosphère sereine qui se dégageait de ses paroles ainsi que de la tendresse et de la bienveillance de ses yeux doux.

Par sa bonté, elle venait d’ouvrir une brèche dans ce grand trou noir qu’est l’inconnu afin que la lumière puisse t’accompagner tout au long de ta vie. Elle venait de te dire qu’une fleur peut pousser dans la cendre. Que la vie reprend toujours ses droits. Tu étais apaisé.

Aujourd’hui, face à la vanité destructrice de l’Homme, t’as besoin d’y croire plus que jamais, à la vie.

Et soudain, ce souvenir qui remonte à la surface et qui se porte à ta rescousse. Grâce à lui, tu es disposé à entendre à nouveau ce que te dit le refrain de cette chanson que tu aimes tant : oh....croire....quelque chose....quelque part....oh croire....quelque chose....quelque part.*

Malgré cette mer agitée, te voilà surpris toi-même et apaisé de nouveau.

Jean-Luc Jolivet


*Croire sur l’album Mirador de Pierre Flynn