jeudi 13 août 2020

L’OBSTACLE


 

C’était un obstacle tout ce qu’il y a de plus normal. Du moins, pour la majorité d’entre nous. Visiblement pas pour ce monsieur et pour son chien guide que j’ai croisés ce matin.

Je m’apercevais bien qu’ils hésitaient. Son fidèle compagnon et lui.

C’est pourquoi le monsieur a été bien reconnaissant du p’tit coup d’main pour reprendre son chemin sans encombre afin de se rendre à son rendez-vous.

Un simple chevalet qui bloque l’accès à un trottoir est habituellement facile à contourner, mais force est d’admettre que ça devient tout un défi pour les gens qui ont un handicap. Lorsque l’on peut s’appuyer sur toutes nos facultés, il est aisé de faire un p’tit saut par la rue ou par le gazon sans être trop incommodé ou indument ralenti. C’est une autre paire de manches et ça devient plus dangereux d’emprunter un chemin non balisé lorsque nous vivons avec des incapacités. Un creux dans le gazon peut facilement nous faire trébucher et même mener à une entorse. Une voiture, un camion ou un cycliste peuvent nous renverser, et pire, nous tuer.

Voilà ce qu’une simple anecdote peut nous faire réaliser.

Il y a des gens qui doivent se préparer, à chaque jour que la vie amène, pour une course à obstacles.

Travaux sur leur chemin habituel, secondes dérisoires qui leur sont accordées aux traverses pour piétons, trafic dense et rapide, gens impatients, trottoir enneigé ou glissant sous la pluie, transport en commun pas toujours adéquat, difficulté de trouver un emploi à la hauteur de leur possibilité, j’en oublie et j’en passe.

Je sais bien qu’il y a des organismes et des âmes charitables qui leur viennent en aide et qui leur offre des services, mais nous sommes bien obligés de reconnaître que globalement, nous sommes plutôt sourds, muets et aveugles face aux défis qui leur échoient quotidiennement.  

 

Jean-Luc Jolivet

mardi 11 août 2020

François sur son sofa

FRANÇOIS SUR SON SOFA

 

Il se prénomme François. Il habite Québec. 

Il est le fils d’un peintre signataire du manifeste Le Refus global et d’une mère poète, écrivaine, plasticienne, qui a fui.

Et il vit profondément dans son monde. Nous pourrions ajouter, comme la majorité d’entre nous, mais ce serait plus ou moins juste. Il est ailleurs. Physiquement présent, mais mentalement dans un autre univers.

Et parfois, nos univers se rencontrent. 

Au café sandwicherie de l’ascenseur du Faubourg pour être plus précis. Où il a ses habitudes et où je passe souvent pour aller au travail. 

Nous nous y croisons alors qu’il se sert un café et que j’y attends l’ascenseur avec mon vélo. 

Nous échangeons des sourires et nos salutations. Et nous nous souhaitons une bonne journée. 

À d'autres occasions, c’est dans les rues aux alentours de l’ascenseur. Il me demande à nouveau si j’ai du feu pour allumer son mégot. Je lui réponds que non. Je lui fais une blague sur le fait que je ne fume pas et il rit. Je lui souhaite une belle journée. Il me retourne la politesse.

Ensuite, nous sommes à nouveau aspirés par nos galaxies distinctes. 

Lorsqu’il se passe un certain temps sans que je le croise, je me demande ce qu’il advient de lui. Comment se porte-t-il ?  A-t-il déménagé ? Est-il toujours en vie? 

Le confinement et les vacances d’été ne m’ont pas permis de passer souvent dans son coin. N’empêche, durant cette période, il m’arrivait tout de même d’avoir une pensée pour lui.

Et soudain, ce midi, alors que j’attends à la lumière rouge au coin de la côte Sainte-Geneviève et de la côte d’Abraham, je l’aperçois les jambes bien étendues sur un banc de parc près du complexe Méduse. Le regard portant au loin. 

Je n’ai pu m’empêcher de me faire cette bête réflexion : « il est dans son salon, il regarde le film de sa vie sur son sofa et se questionne sur ce qui a bien pu se passer »

Et je me suis demandé, durant tout le reste de mon parcours du retour, de quoi peut-elle être faite justement, sa vie ? 

J’aurais beau rouler jusqu’à l’infini et plus loin encore, je ne le saurai jamais. 

En fait, tout comme lui, il nous est impossible d’avoir toutes les réponses à nos questions. C’est notre point commun. 

Chacun sur son sofa, portant nos questionnements. 

 

Jean-Luc Jolivet