vendredi 22 novembre 2013




LORSQUE JE SERAI VIEUX ET AU BOUT DU ROULEAU

En mémoire de Guy et de tous ces êtres chers qui sont partis trop tôt

Lorsque je serai vieux, très très vieux, et au bout du rouleau. Lorsque je ne supporterai plus le poids de mon corps et ce mal de dent lancinant. Lorsque je me serai bien battu. Lorsque j’aurai le sentiment d’avoir donné le meilleur de moi-même. Lorsque mon échine sera pliée définitivement et irrémédiablement. Lorsque j’aurai bu mon existence jusqu’à la lie. Lorsque je serai repu d’existence. Lorsque les forces me quitteront petit à petit. Lorsque mon cœur ne suivra plus les pulsions. Lorsque je serai aussi transparent qu’une feuille en papier de soie. Lorsque je serai fatigué, très fatigué, alors….
Je veux que vous me transportiez au centre de ma cour, au cœur de l’été, et que vous m’installiez sur ma chaise préférée et que vous me laissiez seul quelques heures.

Je veux philosopher paisiblement et céder, sans remords, à la contemplation.   
Je veux, une dernière fois, m’imprégner de cette beauté qui m’entoure.

Je veux me laisser submerger par les couleurs, les sons et les caresses d’un vent tiède et doux.
Je veux embrasser, dans un ultime regard, ce pays qui m’a tant donné.

Je veux, dans un dernier sursaut de vitalité, regarder la vie dans les yeux et la remercier.
Je veux faire la paix avec ce corps qui m’a toujours été fidèle, mais que j’ai passablement bardassé.

Je veux me détacher tranquillement de ces possessions qui m’ont été utiles, mais qui, d’un autre côté, m’ont fait perdre bien des énergies.

Je veux faire le compte de mes bons et de mes mauvais coups.
Je veux prendre tout le temps nécessaire pour me pardonner mes manquements.

Je veux avoir une pensée pour toutes ces personnes que j’ai croisées sur mon chemin et qui m’ont été chères.  

Je veux me défaire définitivement de cette peur qui m’a accompagné tout au long de cette aventure.
Je veux vivre à fond ce suprême moment de grâce.

Enfin, lorsque le jour et mon état déclineront, j’aimerais que vous veniez me rejoindre, que vous m’étendiez sur une chaise longue, que vous m’emmitoufliez dans une couverture chaude et confortable et que vous entonniez, tout doucement, un air de musique apaisant. Avant de quitter la scène, avant que ne s’éteignent les feux de la rampe, je veux que nous passions la nuit à la belle étoile.    
Et comme ça, tout naturellement, aux premières lueurs du jour, entouré de votre tendresse, je veux que vous me donniez un peu d’eau et beaucoup de courage afin que je puisse accepter sereinement ma finitude. À ce moment, je souhaite sentir ma vie s’évaporer lentement et discrètement de mon corps dans un chaud et sublime faisceau de lumière.  

Jean-Luc Jolivet


lundi 11 novembre 2013




LA ROUTE


À l'oncle Jack


J’ai besoin de toi la route. Tu m’es importante, la route.
Lorsqu’il est temps de m’aérer l’âme, quand je dois reprendre mes esprits et recoller les morceaux du casse-tête.

J’ai besoin de toi la route. Tu m’es indispensable, la route.
Lorsque je ne sais plus trop bien où j’en suis, quand il me faut faire silence et me recentrer sur le fondamental.

J’ai besoin de toi la route. Tu m’es nécessaire, la route.
Lorsqu’il me tarde de faire le vide, quand je souhaite philosopher et retrouver mon jazz intérieur.

J’ai besoin de toi la route. Tu m’es salutaire, la route.   
Lorsque j’en ai plein mon casque, quand tous les recoins de la cité sont tapissés de publicités et que je veux fuir le vacarme de la ville.

J’ai besoin de toi la route. Tu m’es essentielle, la route.
Lorsque mon estime est fissurée comme ton revêtement, quand ma mémoire est trop pleine et que ma mécanique se sclérose.

J’ai besoin de toi la route, tu m’es vitale, la route.

Jean-Luc Jolivet