lundi 16 juin 2014



LA CHEVETTE VERTE (1976)


Comment oublier notre mythique et incomparable Chevette verte 1976? Impossible. Non mais, quel bolide on possédait là! Un vrai tank. Croyez-moi, c'était du solide. Bon, il est vrai que j'ai failli la démolir, mais ça c'est une autre histoire. Elle a tout de même survécu une bonne quinzaine d’années, si ce n'est pas plus. Grâce, notamment, aux bons soins de notre voisin d'en face, M. Magny. Il avait fini par l'acheter la p’tite bougresse. Cent piastres bien sonnées. Faut dire qu'il était mécanicien chez GM et que sa femme en possédait une aussi. Orange celle-là. Ouf!

Toujours est-il que c'est avec ce modèle que j'ai appris à conduire. Et tôt à part ça.

En effet, durant ma tendre enfance et ma prime jeunesse, j’aimais ça les machines. Qu'elles se meuvent sur l’eau, le ciel ou la terre. Qu'elles aient des roues, des ailes, des hélices, des skis ou une coque, je flippais solide. D’ailleurs, à l’instar des musiciens du groupe Rush, j’avais, moi aussi, ma Red Barchetta fétiche. Mon objet de désir, de fantasme libertaire. La bagnole qui m’ouvrait sur tous les possibles. La voiture qui, un jour, me transporterait au bout du monde.

C'est pourquoi, bien avant mes 16 ans, il me tardait tellement d'avoir mon permis que j’achalais sans cesse mon père et ma mère pour prendre le volant. À force de les tanner avec ça, j'avais fini par leur arracher un compromis. Dans le genre «si tu laves l'auto, tu pourras la déplacer». Eurêka, je m'approchais un peu plus de mon rêve. J'peux-tu vous dire que la Chevette était propre en maudit. Bien entendu, je n’allais pas virer ben loin, mais tout de même, je savourais pleinement mon plaisir à chaque occasion.

Je pouvais enfin conduire MA Chevette verte!

Et laissez-moi vous dire qu’elle était verte longtemps. Tellement, qu’un de mes amis du Lac-à-la-Tortue l’avait judicieusement surnommée, La grenouille. Ce n’est pas des bobards que je vous raconte. On pouvait l'apercevoir de loin. On ne pouvait pas la manquer. Par exemple, un jour que je revenais de la Poly et que je me trouvais sur le coin de la 8e rue et 7e avenue à Grand-Mère, je vis ma mère tourner le coin de la 14e avenue sans aucune difficulté. Inutile de vous dire qu’on ne passait pas inaperçu.

Maintenant, si ça ne vous gêne pas trop, revenons un peu en arrière. En 1976 plus précisément.

Retrouvons-nous, pour un instant, chez le concessionnaire J-M Auto Ltd situé entre le 5e et 6e avenue à Grand-Mère. Dans un gros garâge, comme dirait un personnage célèbre de notre filmographie nationale. C’est en ce lieu, dans ce paradis américain du char, que je tombai en amour avec la nouvelle automobile de mes parents.

J’en garde un souvenir intact. Me souviens d’avoir tourné autour, d’avoir embarqué dans le coffre, d’avoir ramené à la maison le dépliant promotionnel. Me souviens de sa senteur lorsque nous l'avons reçue. Me souviens de la clé, du volant, du tableau de bord etc. Me souviens du ronronnement de sa mécanique. Me souviens que devant tant d'effervescence, mes géniteurs m’avaient donné en cadeau une belle Chevette blanche. En jouet bien sûr! Me souviens de ces matins d'hiver à moins quarante lorsque ma mère allait nous porter à l'aréna pour nos pratiques. C'était glacial. Me souviens de ben des affaires. Me souviens que cette Chevette nous a été pas mal utile.  

En tout cas, je suis sûr qu'il y a plusieurs anecdotes rattachées à ces deux mots: Chevette verte. Je suis convaincu qu’il y a autant d’histoires à raconter que de passagers qui ont été trimballés par ce tacot.

Ce soir, c'est le sourire en coin et c'est sans aucune nostalgie que je me remémore les bons moments vécus à bord de cette boîte à beurre qui, pendant longtemps, a fait office de limousine dans ma caboche de jeune premier.

Jean-Luc Jolivet   

 

vendredi 6 juin 2014


TES MAUX


Tu ne cherches plus tes phrases. Tu ne te creuses plus les méninges. Tes yeux m'informent que ta palette de couleurs est rendue aussi vierge que cette page blanche que tu as redoutée toute ta vie.

J'ai beau fouiller, scruter et sonder ton regard, je n'y vois plus aucun signe de rage de vaincre. Ta belle combativité, ta force tranquille ont fait place à la résignation.

Quelle absurdité, quelle ignominie !

Comment cela a-t-il pu t'arriver ? Toi qui a passé ta vie à jouer avec les mots et à dompter ceux qui dansaient sur le bout de ta langue. Cette langue que tu aimais tant et qui, comme ta mémoire, part à la dérive. Cette langue que tu chérissais et que tu as si bien défendue, te fait un pied de nez d'une absurdité innommable.

Tu étais créatif et pédagogue. Tu n'avais pas peur de monter au créneau pour faire valoir ton point, pour ne pas dire ton poing.

Et même devant les propos absurdes et défaitistes de la ministre de la Culture sur la difficulté à maîtriser le français, tu ne perdais pas espoir, tu ne baissais jamais les bras.

Alors que tu étais un phare, un socle sur lequel nous aurions pu poser nos pieds, nous avons préféré te tourner le dos et nous angliciser à la vitesse grand V.

Nous t'avons cru passéiste et le gardien d'un folklore poussiéreux. Nous nous sommes moqués de ta diction, de ton vocabulaire. Nous t'avons traité de pédant. Nous t'avons humilié.

Peut-être que l'étendue de ton érudition nous faisait voir le vide abyssal de nos connaissances ?

Maintenant qu'il est trop tard, maintenant que nous sommes sur le point de devenir la nouvelle Louisiane du nord, toi, tu te retrouves seul avec tes maux et tu vis ce que tu craignais le plus au monde. Assister à l'agonie de ta langue avant de mourir toi-même.



Jean-Luc Jolivet