TES
MAUX
Tu
ne cherches plus tes phrases. Tu ne te creuses plus les méninges.
Tes yeux m'informent que ta palette de couleurs est rendue aussi
vierge que cette page blanche que tu as redoutée toute ta vie.
J'ai
beau fouiller, scruter et sonder ton regard, je n'y vois plus aucun
signe de rage de vaincre. Ta belle combativité, ta force tranquille
ont fait place à la résignation.
Quelle
absurdité, quelle ignominie !
Comment
cela a-t-il pu t'arriver ? Toi qui a passé ta vie à jouer avec les
mots et à dompter ceux qui dansaient sur le bout de ta langue. Cette
langue que tu aimais tant et qui, comme ta mémoire, part à la
dérive. Cette langue que tu chérissais et que tu as si bien
défendue, te fait un pied de nez d'une absurdité innommable.
Tu
étais créatif et pédagogue. Tu n'avais pas peur de monter au
créneau pour faire valoir ton point, pour ne pas dire ton poing.
Et
même devant les propos absurdes et défaitistes de la ministre de la
Culture sur la difficulté à maîtriser le français, tu ne perdais
pas espoir, tu ne baissais jamais les bras.
Alors
que tu étais un phare, un socle sur lequel nous aurions pu poser nos
pieds, nous avons préféré te tourner le dos et nous angliciser à
la vitesse grand V.
Nous
t'avons cru passéiste et le gardien d'un folklore poussiéreux. Nous
nous sommes moqués de ta diction, de ton vocabulaire. Nous t'avons
traité de pédant. Nous t'avons humilié.
Peut-être
que l'étendue de ton érudition nous faisait voir le vide abyssal
de nos connaissances ?
Maintenant
qu'il est trop tard, maintenant que nous sommes sur le point de
devenir la nouvelle Louisiane du nord, toi, tu te retrouves seul avec
tes maux et tu vis ce que tu craignais le plus au monde. Assister à
l'agonie de ta langue avant de mourir toi-même.
Jean-Luc
Jolivet
Magnifique texte. Sujet tristounet. Il ne faut pas la perdre notre si belle langue.
RépondreEffacerMerci beaucoup Manon ! Faut rester vigilants et vigilantes, mais ne pas baisser les bras.
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