vendredi 9 octobre 2020

 

UN RIRE LIBÉRATEUR

 

Pour notre plus grand bonheur, nous pouvions enfin, ce samedi-là, faire cette petite sortie à vélo que nous souhaitions tous les quatre voir se concrétiser depuis un certain moment.

Le trajet était choisi depuis belle lurette. Il ne nous restait qu’à fixer l’heure et le lieu de rencontre. Deux ou trois textos plus tard, ces détails étaient réglés.  

Arrivés au point de départ avec un léger retard, c’est près de la rivière que MC et JP II nous attendaient patiemment. Nous étions heureux de nous revoir et fin prêts à mouliner. Et, par le fait même, nous allions profiter de cette occasion pour mettre à jour toutes les nouvelles concernant nos vies respectives.

Le ciel était clair, le soleil nourricier, le vent doux et l’air pur. La symbiose entre les éléments, notre humeur légère et notre joie allègre était parfaite. Nous goûtions à cet instant parfait que nous savons, à nos âges, plus précieux que jamais. Lorsque les vicissitudes du quotidien prennent congé, nous devons savourer à fond ce répit, et surtout, veiller à ne pas le laisser filer trop vite.       

La météo annonçait une possibilité de fine pluie vers la fin de l’après-midi, mais rien d’alarmant. Nous pouvions rouler en toute quiétude.  

C’est dans cet état d’esprit, où se mêlaient insouciance et bien-être, que nous nous sommes rendus jusqu’à la Station touristique Duchesnay pour prendre une petite pause et une collation méritées.

C’est là que les nuages ont commencé à prendre une autre couleur. Galarneau brillait toujours, mais nous percevions qu’au loin, ça s’assombrissait. Pas au point de penser que nous aurions droit à toute une déferlante dans les heures à venir cependant.       

Après les petites barres énergétiques, les rafraîchissements s’en venaient, mais pas de nos gourdes.

C’est sur le chemin du retour que nous y avons goûté. Ce n’était rien au début, que quelques gouttes ici et là. Plus nous avancions, plus ça tombait. Un arrêt sous un viaduc à Shannon s’imposait. L’impatience nous gagna rapidement, nous sommes repartis pour nous rendre dans un casse-croûte à Val-Bélair. Les frissons et la faim nous tenaillaient. Il étant temps de souffler un peu. Nous semblions avoir passé dans un lave-auto avec nos vélos.  

Après notre repas gastronomique, la météo est devenue encore plus menaçante. Qu’à cela ne tienne, nous décidions malgré tout de repartir. Nous pensions que ce ne serait pas si pire et que nous avions le temps de revenir sans trop de mal.

Erreur. Le bordel était pogné au-dessus de nous. Éclair, pluie diluvienne et vent froid.

La totale.

Nous étions pris au piège.

Je vais vous dire que là, nous en avons eu pour notre argent, liquide, à part de ça.

Cet épisode restera à jamais gravé dans ma mémoire. Comment oublier ce moment qui m’a ramené quarante ans en arrière et qui m’a fait replonger au cœur de cette enfance bénie et choyée. Cet évènement m’a rappelé ce temps de désinvolture où revenir à la maison trempé jusqu’à l’os était synonyme d’une joie émancipatrice sans égale.     

Mais surtout, comment oublier le rire de ma sœur alors que le ciel nous tombait sur la tête. Ça faisait un méchant bout de temps que je n’avais entendu un rire aussi franc, sincère, sans complexe et avec une charge à ce point libératrice. Il faisait compétition à la foudre.

Il m’est difficile de décrire parfaitement tout ce que j’ai perçu dans cet éclat lumineux. Il me semble bien avoir entendu des échos de joie, de peine, d’inquiétude, de sérénité, de lâcher prise, de bonté et le son d’une grande humanité. Une chose me paraît certaine, il contenait beaucoup, mais alors là beaucoup d’amour.

Elle apprendra, si elle lit ce texte, que la façon dont elle a accueilli ce torrent qui s’abattait sur nous cet après-midi de septembre a, en plus d’éradiquer ma mauvaise humeur et mes blasphèmes intérieurs, fait disparaître ma crainte d’être frappé par un éclair.

Heureusement, ce samedi-là, j’ai plutôt été happé par un rire libérateur, et ça, ça fait un bien énorme. Croyez-moi.

Jean-Luc Jolivet