jeudi 10 décembre 2015

À M.D.

LE PLUS BEAU JOUR DE SA VIE



Elle était bleue. Bleue comme les cieux de son Limoilou natal. Bleue comme les yeux de son papa qui avait vécu, quelques années auparavant, un terrible drame. Elle était bleue, sa première bicyclette.

Mais l’attente avant de l'avoir fut longue. Très longue. À cause du chagrin et des angoisses de son père, le vélo était banni, pour ne pas dire excommunié de la famille. Pas question qu’un seul de ses enfants enfourche cette invention maudite. Cet objet que le diable avait dressé sur sa route et qui avait changé le cours de sa vie et mis fin à celle d’un malheureux petit garçon.

Marie était toute chamboulée par la tragédie, mais également par le fait qu'elle ne parvenait pas à se faire à l’idée qu’à 10 ans, les joies salvatrices d’une bonne ride de vélo lui étaient interdites. À un certain moment, son cœur avait conclu qu’elle ne pourrait pas, comme son amie Kiki, en posséder un aussi beau qui brillait au soleil. Elle en était même venue à croire qu’elle ne connaîtrait jamais la félicité de sentir le vent chaud de l’été sur son visage et les plaisir enivrants de la liberté. Elle se croyait  condamnée à marcher pour le reste de ses jours et à  rester sur le carreau, alors que les autres….oui, les autres, pouvaient allègrement rouler jusqu’à plus soif et s’inventer des mondes fantastiques.    

Et puis soudain, un jour, alors qu’elle flânait comme une âme en peine dans les rues de son quartier, l’espoir réapparut sur le mur d’un édifice. Cette affiche «bicycle à vendre» venait de rallumer son rêve. Sa patate se mis à battre à tout rompre, ses tempes se couvrirent de sueur et les papillons se réveillèrent dans son estomac. Elle ne pouvait laisser passer la chance de sa vie. À partir de là, elle n’avait plus qu’une idée en tête. Convaincre son père de changer son fusil d’épaule.

C’est alors qu’elle empoigna fermement son courage à deux mains et alla retrouver son paternel qui était fermé comme une huître. Il ne voulait rien entendre. C’était bien mal la connaître que de penser qu’elle se contenterait d’une fin de non-recevoir. Appuyée par sa mère dans sa quête du Saint Graal, le géniteur fini par céder.

Quelques heures plus tard, ils se rendirent à l’adresse indiquée sur l’affiche pour voir la fameuse monture. Fort heureusement, elle n’était toujours pas vendue. Le vélo n’était peut-être pas neuf, mais il était en très bon état et Marie se voyait déjà partir à l’aventure avec son nouveau compagnon. Après d’âpres négociations, la bicyclette lui appartenait pour la somme de 15 dollars. C’était tout un montant d’argent pour cette famille qui ne roulait pas sur l’or.

Pour Marie, cette journée restera à jamais gravée dans sa mémoire. Par cet achat, son cher petit papou faisait d’une pierre deux coups. Il permettait au bonheur de briller à nouveau dans les yeux de sa fille chérie tout en se libérant de sa chape de plomb et de ses tourments. Maintenant, tous les possibles s’ouvraient à eux.

Elle était bleue. Bleue comme les cieux de son Limoilou natal. Bleue comme les yeux de son papa qui avait vécu, quelques années auparavant, un terrible drame. Elle était bleue, sa première bicyclette. Il était bleu, le plus beau jour de sa vie.



Jean-Luc Jolivet

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