samedi 25 janvier 2014

APPRIVOISER LA BÊTE

J’avais 7 ans lorsque mon père a été élu pour la première fois. J’avais 7 ans et je n’y comprenais pas grand-chose. 

Les mots élection, Parti Québécois, député, Laviolette, gouvernement, n’étaient que du charabia pour le ti-cul que j’étais lors de ce fameux 15 novembre 1976. Toujours est-il que la politique venait d’entrer dans ma vie et j’avais intérêt à m’y faire, parce qu’après cette victoire, mon paternel allait en connaître 5 autres d’affilées. Et, sans le savoir, à ce moment-là, j’allais moi-même servir un jour dans la fonction publique québécoise, et ce, autant du côté administratif que politique.
  
Même si je ne saisissais pas trop ce qui se déroulait et même si  les souvenirs de cette soirée restent  flous dans mon esprit, je me rappelle bien avoir été aussi heureux que mon entourage. Comment faire autrement ? Voir ses parents acclamés, accueillis en héros, ça rend n’importe quel enfant fier. Mais pour être franc, si on m’avait annoncé qu’il était le nouvel entraîneur du Canadiens de Montréal ou qu’il venait de gagner 1 million de dollars à la loto, j’aurais été content de la même façon. Et puis, veiller tard un soir de semaine pour un kid de cet âge et me faire dire que j’aurais congé d’école le lendemain, ça ne pouvait que me réjouir. Sans oublier qu’il y avait un super de beau gâteau qui me semblait très appétissant, à cette soirée de fête pas comme les autres. J’avais hâte d’y goûter.

Peut-être m’étais-je trop empiffré de pâtisseries, de chips et d’orangeade, mais j’peux vous dire que les lendemains de veille ont été plutôt pénibles de mon côté.

Tout venait de changer et je commençais à m’en rendre compte. Après la publication du reportage de mon oncle dans l’hebdomadaire l’Hebdo du St-Maurice, quelques semaines plus tard tout s’est mis à débouler. Je pouvais dire au revoir à ma quiétude.

De retour à l'école, j’étais pressé de questions par mes camarades de classes. « Allez-vous déménager à Québec ? » « Est-ce que ton père est riche ? » « C’est quoi ça un député ? » etc. Le tourbillon que j’vous dis ! L’attention qu’on me portait soudainement et mon incapacité à répondre à toutes ces interrogations me mettaient en beau maudit. J’haïssais ça pour mourir ! 

Aujourd’hui, avec le recul et mes 44 ans bien sonnés, je peux avancer ceci : je n’étais pas prêt à le partager avec le public. J’irais même plus loin : je crois que mon tempérament rêveur, mon besoin de stabilité et ma nature  timide, faisaient que je partais avec 2 prises et, disons, que son élection fut un choc pour moi. J’allais devoir en ramer un méchant coup pour apprivoiser la bête qu’est la politique. 

J'peux vous dire que pendant longtemps, j’aurais préféré qu’il soit journalier, policier, ou tout simplement, qu’il reste enseignant.

Parce que - et là, loin de moi l’idée de jouer à la victime - lorsqu’on a un parent qui exerce un travail public aussi peu valorisé et tant ridiculisé, il peut y avoir des répercussions sur notre propre vie, sur notre estime. Évidemment, c’est différent à chacun, mais dans mon cas, ç’a été plutôt pénible.
    
Tout de même, il n’y a pas que des mauvais côtés. Je dirais qu’assez rapidement, malgré tout, je me suis mis à le suivre aux activités publiques. Et j’aimais ça. En plus d’être en sa compagnie, je pouvais rencontrer plein de gens intéressants et vivre des moments hors de l'ordinaire. J’étais toujours partant pour aller dans les festivals - dont le plus connu est le Festival Western de St-Tite - et les tournois de tout genre, les soupers spaghetti, rendre visite aux aînés, descendre de La Tuque à Grand-mère pour suivre la Classique internationale de canot, voir le 24 h de La Tuque, aller à la rencontre des Atikamekws en hydravion, le suivre dans des assemblées et j’en passe. 

Je l’ai certainement accompagné jusqu’à l’âge de 14 ans, jusqu’à l’aube de l’adolescence quoi. À partir de là, mettons qu’il y a eu une pause de mon côté. La politique, c’était la « maudite » politique ! À force d’être submergé par toute cette mauvaise foi et cette démagogie envers les politiques, j’ai fini, moi aussi, par toutes et tous les mettre dans le même panier. Excepté mon géniteur bien sûr. Blague à part, j’voulais pu rien savoir. J’étais révolté. 

Ce n’est qu’une fois passé les turbulences de cette période de la vie, que je me suis vraiment politisé. Je me suis mis à suivre assidûment l’actualité et les développements sur les négociations constitutionnelles. Je me suis intéressé davantage à notre histoire nationale, à lire sur le sujet et à m’informer sur les affaires publiques. J’ai voulu comprendre, savoir d’où je venais. J’ai voulu aller à la rencontre de ce grand peuple dont je fais partie. J’ai souhaité me faire ma propre tête, voir où je me situais sur ce plan sans aucune influence extérieure. 
  
C’est au bout de ce cheminement que j’ai pu voir l’ampleur du travail accompli par mes parents. C’est au bout de cette cogitation que j’ai vraiment pu apprécier tout le bien qu’ils ont fait - et qu’ils font encore -  autour d’eux et toute la générosité qu’ils déploient sans rien attendre en retour.  Finalement, c’est au bout de cette réflexion que j’ai réalisé notre chance de vivre dans un système, certes pas parfait, mais perfectible.

Qu’on le veuille ou non, le cœur de notre société, la santé de celle-ci, est notre participation. Il est essentiel de garder notre esprit critique, il est primordial de rester vigilants et exigeants envers les hommes et les femmes politiques. Mais, nous devons également admettre que la majorité des gens qui consacrent leur énergie à améliorer nos institutions, le font avec abnégation, honnêteté et bonne foi.
    

Jean-Luc Jolivet 

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