vendredi 5 avril 2013


ET SI BEETHOVEN VIVAIT EN 2005


Une chose est certaine : si Beethoven vivait en 2005, il ne ferait pas la sourde oreille aux malheurs de ses contemporains. Il chercherait à mettre son immense talent au service des autres. Ses musiques profondes, sensibles et passionnées serviraient à alléger les souffrances d’autrui. Et puisqu’il en est question, ses problèmes de surdité, sans être définitivement résolus, seraient probablement allégés par les connaissances et la technologie actuelle. Il suffit de penser aux implants cochléaires pour s’en convaincre. Il aurait toujours, sans aucun doute, un comportement bourru et colérique. Cette fois, son ouïe déficiente ne serait pas la grande responsable de ces traits de caractère. La difficulté de dénicher un mécène cultivé qui serait plus soucieux du bien-être collectif que du profit instantané et l’indifférence de la part du public face aux «produits» qui ne sortiraient pas de l’usine «star académique» n’aideraient pas à améliorer son attitude. La diffusion radiophonique plutôt anémique ainsi qu’une couverture télévisuelle confidentielle, pour tout ce qui n’est pas racoleur ou superficiel, finirait par le classer définitivement du côté des artistes incompris.

Si Beethoven vivait en 2005, il ferait la joie des mélomanes. Il «sonaterait», «symphoniserait», «concertiserait» pour repousser toute cette confusion ambiante. «Il jouerait de l’archet sur les violons de l’âme». Ce citoyen du monde mépriserait le couronnement de l’empereur états-unien. Loin de mettre la faute sur le dos de la clarinette, Beethoven s’en servirait pour adoucir certaines mœurs pas trop nettes. Rien ne lui semblerait plus pathétique que ces «pianoteux» du dimanche qui ne chercheraient qu’à abuser des charmes d’Élise. Au clair de lune, ses pensées musicales prendraient forme et seraient couchées sur un lit de feuilles au petit matin. Devant la portée et l’emprise de la capricieuse inspiration, le compositeur perdrait quelquefois patience. Bien qu’elle détienne la clé qui le ferait décoller du sol, il serait tenté, à l’occasion, de la déporter sur l’Île de Ré. À la fois héroïque et bien tempérée, sa mie viendrait le tirer de son marasme et le ramènerait à la raison.  À l’aurore, le musicien se remettrait au piano et caresserait de ses doigts agiles le dos des touches d’ivoire blanches. Pendant qu’une musique douce et mélancolique se libérerait du cœur de son instrument, une fine pluie embrumerait les yeux de notre génie des temps modernes. Sa concentration serait en état de siège: Éléonore, «mon ange, mon tout, mon moi» pourquoi faut-il que tu reviennes investir le palais de mes pensées après tant d’années ? Beethoven délaisserait, pour un instant, la composition musicale pour la composition littéraire. «Mon immortelle Bien-aimée» seraient ses derniers mots avant de faire naître la «pastorale». En fait, Beethoven n’aurait qu’une maîtresse : la musique. Cette dernière le tyranniserait, l’apaiserait, le soumettrait, le comblerait, mais au final, elle l’élèverait au rang des incontournables.

Bien sûr, ces mots ne sont que des mots. Ils sont les fils de la fabulation et d’une imagination débridée. Permettez-nous de rêvasser sur cette question : Et si Beethoven vivait en 2005 ?

Jean-Luc Jolivet

(Texte qui a reçu le prix du public lors d'un concours organisé par l'OSQ et le journal Le Soleil)

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